La France connaît actuellement une effervescence sans précédent dans son monde agricole, marquée par une série de mobilisations intenses qui balayent le paysage depuis une semaine. Les agriculteurs, confrontés à des défis économiques, sociaux et environnementaux, ont pris d’assaut les routes et les médias pour exprimer leur détresse et réclamer une reconnaissance accrue de leur métier.
Mercredi 24 janvier, 14 h : une dizaine de tracteurs se réunissent devant la maison des agriculteurs à la Tour-de-Salvagny. Le convoi de gendarmes est là et les derniers détails se règlent pour le blocage de la M6. Dans le même temps, à Givors, les agriculteurs s’organisent également avec les forces de l’ordre. Certains en profitent pour arborer des slogans sur leurs tracteurs : « vous nourrir : oui, en mourir : non », « enfant, on en rêve, adulte, on en crève », « agri sous pression », « pas de nourriture sans agriculture », « on marche sur la tête » … 15 h : top départ direction Limonest, les klaxons accompagnement le mouvement et la motivation des agriculteurs, jeunes comme moins jeunes, se lit sur leurs visages. La mobilisation laisse planer une énergie d’excitation, de partage et de conviction. Jeunes, vieux, arboriculteurs, éleveurs, viticulteurs, salariés ou chef d’exploitations, aucune différence ne fait foi mais une seule et même chose rassemble aujourd’hui : pouvoir vivre pour nourrir son pays. Sur les deux sites, ce ne sont pas moins d’une centaine de tracteurs mobilisés et plusieurs centaines de personnes sur chaque blocage qui se relaient.
Les voix du terrain
Au cœur de cette mobilisation, les témoignages de Loïc Poncet et Christopher Chalindard, chauffeurs d’engins agricoles, et de Valentin Nugue, éleveur allaitant depuis 2013 à Lozanne, révèlent un cri de détresse unanime. Leur colère porte principalement sur le coût exorbitant du gazole agricole (GNR) et des prix de vente jugés trop bas, exacerbés par la concurrence déloyale émanant d’autres pays. « Il est essentiel de se rassembler sinon c’est la mort de l’agriculture française, alerte Valentin. Sur mes 4 enfants, 2 veulent en faire leur métier mais très franchement, je ne les pousse pas dans ce sens », regrette-t-il. Il imagine un avenir meilleur, « j’aimerais pouvoir ne pas vivre avec la PAC mais vivre avec ce que je vends, j’arrive à me dégager 500 € de salaire et je dois maintenir mon exploitation à 100 bêtes pour rembourser mon emprunt… Je fais du bois de chauffage à côté pour pouvoir offrir des sorties aux gamins. Vous imaginez que nous vendons les bêtes au même prix que dans les années 1980 ? Alors que la vie a augmenté en parallèle », illustre-t-il.
Des revendications claires
Première des revendications : pouvoir vivre de son métier. Comme le partage Pascal Gouttenoire mercredi 24 janvier au blocage de la M6, « nous aimerions vivre décemment, le revenu est la première des choses et une action simple pour y parvenir, c’est le respect de la loi Égalim. Nous sommes en pleine renégociation commerciale et les acteurs ne jouent pas le jeu. On attend que l’État joue son rôle de gendarme ». Après une crise sanitaire où la souveraineté alimentaire avait tout son sens, les agriculteurs ne se sentent plus reconnus. Pas de distorsion de concurrence. Si les discussions quant au Mercosur planent encore, « il faut que l’État se positionne, nous n’avons pas les mêmes normes avec ces pays et il faut se poser les bonnes questions, est-ce qu’on veut une viande importée à 30 % ? L’agriculture française est à des années-lumière et est la plus qualitative du monde », plaide le président de la FDSEA 69.
La simplification administrative est aussi un enjeu majeur et l'une des revendications qui ressort. Tout comme la logique des normes, « nous sommes les premiers protecteurs de l’environnement mais il faut savoir où on met les normes ». Concernant l’eau : « c’est le futur de l’agriculture et il ne se construira qu’avec un accès à l’eau. Nous travaillons avec du vivant et nous avons besoin d’eau ». La pression sociétale est l'un des axes formulé également, « les agriculteurs travaillent en milieu ouvert, nous sommes dépendants du changement climatique, de la météo, et nous devons sans arrêt nous justifier. Chaque année, nous sommes susceptibles d’avoir 20 contrôles différents, c’est énorme », donne en exemple Pascal Gouttenoire.
« L’alimentation, c’est la première dépense de santé »
Pour Rémi Laffay, président des Jeunes agriculteurs du Rhône, l’installation est un enjeu majeur, en plus des revendications déjà formulées précédemment : « il y a du monde dans les lycées mais on n’arrive pas à installer ». Un axe important, évoque le président des JA, c’est la reconnaissance du métier : « pour le renouvellement des générations, je ne suis pas sûr que la génération actuelle soit prête à faire les mêmes sacrifices que celle qui s’approche de la retraite. Pendant la Covid ; tout le monde nous soutenait mais aujourd'hui, personne ne fait plus l’effort d’acheter local. Certes le pouvoir d’achat baisse et les prix sont élevés mais la place de l’alimentation doit redevenir plus importante dans les budgets. L’alimentation, c’est la première dépense de santé. En France, nous avons l'une des agricultures les plus saines où le dernier scandale sanitaire remonte à loin. Les consommateurs peuvent nous faire confiance de ce côté-là », plaide-t-il.
Vendredi 26 janvier, les agriculteurs du Rhône sont repartis du blocage de la M6 pour reprendre du service dès 5h30 lundi 29 janvier au matin pour une opération escargot à Chabanière. Une cinquantaine de tracteurs d’agriculteurs essentiellement venus des monts du Lyonnais sont arrêtés sur l’A450 pour y passer la journée et se sont dirigés en direction de l’A7. Le blocage de Villefranche lundi à 17 h réunit des centaines de personnes (voir article ci-dessous).
Charlotte Favarel