SOCIETE
« Mesdames, osez les métiers au féminin »

Qu’elles soient agricultrices, syndicalistes, bouchères, professionnelles du bâtiment… Les femmes réunies par la commission des agricultrices de la FNSEA ont profité du Salon de l’agriculture pour faire part de leur expérience de femmes qui ont, ou ont eu, des postes à responsabilité dans le milieu agricole. 

« Mesdames, osez les métiers au féminin »
Les participantes à la table ronde sur la place des femmes dans des milieux professionnels masculins, organisée au SIA.

Nombreuses sont les agricultrices à qui, au moins une fois dans leur carrière, on a demandé : « Il n’est pas là, le patron ? ». Loupé ! Quand le patron est une patronne, les commerciaux et divers représentant ont dû ravaler leur fierté. À l’heure où le monde agricole compte 33 % d’agricultrices, dont un quart sont cheffes d’exploitation, plus que jamais l’agriculture se conjugue au féminin. Au fil des générations, des pionnières sont devenues agricultrices par le mariage ou par héritage. D’autres étaient des aventurières qui ont osé se lancer par conviction. Que de chemin parcouru, que de combats menés pour battre en brèche les stéréotypes les plus tenaces. À commencer par celui de la pénibilité.

La mécanisation et les nouvelles technologies ont accéléré les possibilités. Cela, toutes le reconnaissent et concèdent « qu’à un moment donné, ce n’est pas une tare de demander de l’aide ». Femmes ou hommes, l’activité agricole peut de moins en moins se concevoir de manière individuelle. « Le monde agricole est aussi pour nous les femmes, en complémentarité avec nos hommes », a confié Catherine Faivre-Pierret, productrice de lait dans le Doubs, récemment élue à la tête de la commission nationale des agricultrices.

« Il faut ouvrir les portes des coopératives et des outils économiques aux femmes »

En effet, loin d’elles l’idée de rejouer la guerre des sexes, car comme l’a très justement dit Karen Serres, ex-présidente de la commission nationale des agricultrices : « Nous sommes complémentaires. L’essentiel étant de rester soi-même y compris dans sa féminité, car cela n’a pas de sens de faire semblant d’être un mec ! ». Pas de faux-semblant non plus quand il s’agit d’interroger sa capacité à gouverner, comme en a témoigné Christiane Lambert, présidente de la FNSEA : « Une femme qui devient présidente est plus facilement qualifiée d’ambitieuse. Et pourtant à poste égale, une femme se demande si elle a les compétences avant de se positionner, alors qu’un homme se positionnera d’emblée ». Installée hors-cadre familiale dans la Drôme, et désormais présidente de l’Acta, les instituts agricoles, Anne-Claire Vial a, quant à elle, estimé « que les choses évoluent lorsque quelques-unes ouvrent la voie. Au début, j’étais contre la politique des quotas, mais s’ils n’avaient pas été mis en place, nous n’en serions pas là dans les chambres d’agriculture. Maintenant, il faut aller plus loin en ouvrant les portes des coopératives et des outils économiques aux femmes ».

« Nombre d’entre vous pourrait devenir des mentors ! »

Le récit de chacune est traversé par une forme de sororité où ténacité, sincérité et solidarité ne sont pas de vains mots. Ce qui, hier, pouvait être qualifié de naïveté devient une corde pas si sensible, fondamentale au vivre ensemble. La ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Isabelle Rome, a confié en avoir fait l’expérience à ses débuts de magistrate : « Je me suis traîné cette réputation de naïveté et de sensibilité pendant très longtemps, pourtant, je pense avoir jugé plus de criminels, arpenté bien plus d’hôpitaux psychiatriques, de prisons que beaucoup de mes confrères. Il m’a fallu attendre cinquante ans pour écrire un livre intitulé “Vous êtes naïve, Madame le juge”. L’émotion n’exclut pas la raison. Ce droit à l’émotion, nous devons le revendiquer ». Désormais ministre, Isabelle Rome explique que son combat premier est d’offrir aux femmes le plus de liberté possible. « On a toutes et tous besoin de modèles auxquels s’identifier. Nombre d’entre vous pourrait devenir des mentors ! ».

Sophie Chatenet

Aujourd'hui, les femmes en agriculture...

Aujourd'hui, les femmes en agriculture...
DATES CLÉS

Un long combat vers la reconnaissance et l’égalité

1980 : Création du statut de « co-exploitante ». Les femmes ont alors acquis le droit d’accomplir les actes administratifs nécessaires à la bonne gestion de l’exploitation.

1985 : Apparition de l’Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL). Les conjoints ont alors pu s’associer tout en individualisant leurs tâches et leurs responsabilités. Toutefois, il s’agit d’une identité professionnelle à partager avec le mari, et non d’un droit personnel attribué aux femmes.

1999 : Création du statut de conjointe collaboratrice, qui marque un réel progrès, notamment en matière de protection sociale des agricultrices.

2006 : L’étendue de la couverture sociale pour les conjointes d’exploitants.

2011 : La possibilité de créer un Groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) entre époux.

2019 : La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) a ouvert la possibilité de bénéficier d'indemnités journalières en cas de maternité, lorsque les futures et jeunes mamans n'ont pas la possibilité de se faire remplacer.

Des inégalités toujours importantes

En 2020 et selon la MSA, les femmes représentaient 26 % de l’effectif des chefs d’exploitation. Elles n’étaient en revanche que de 5 % à diriger des entreprises agricoles. Plus de 115 000 d’entre elles étaient employées en équivalents temps plein, soit 35,8 % des salariés du secteur.

Un second rapport de 2022 provenant du service de la statistique agricole Agreste a affirmé que les femmes étaient « majoritairement plus diplômées que leurs homologues masculins, avec une formation générale supérieure pour 55 % d’entre elles, contre 27 % pour les agriculteurs en 2020 ». Pourtant, sur le marché du travail agricole, « les femmes ont des conditions d’emploi plus précaires que celles des hommes ». À titre d’exemple, la durée moyenne d’un contrat féminin en CDD est inférieure de 10,6 % à celle d’un contrat masculin. En CDI, les femmes ont des temps de travail inférieurs de 13,9 % en moyenne à ceux des hommes. Enfin, elles sont proportionnellement deux fois plus nombreuses à temps partiel que les hommes et leurs rémunérations horaires moyennes sont inférieures de 4,6 %.

Moins rémunérée que les hommes

Lors du Salon de l’agriculture, un rapport d’Oxfam nommé « Agriculture : les inégalités sont dans le pré » a illustré d’autres inégalités de genre dans le monde agricole. Selon ce dernier, « la rémunération des agricultrices est 29 % inférieure à celle des agriculteurs, soit ¼ de plus que dans les autres secteurs ». Des statistiques de la MSA montrent, qu’en 2020, la retraite moyenne des agricultrices était de 570 € mensuels. Celle des agriculteurs était établie à 840 € par mois, soit une différence de 32 %. À noter qu’en 2021, la loi dite « Chassaigne » a permis d’augmenter les plus petites pensions (conjoint.e.s et aides familiaux), dont la retraite avoisine les 600 €. La majorité des pensions concernées étaient celles des femmes.

Freins à l’installation des agricultrices 

Davantage de femmes s’installent hors cadre familial. En 2017, le rapport d’information du Sénat « Femmes et agriculture : pour l'égalité dans les territoires » mentionnait que « les prêts bancaires étaient plus modiques pour elles, que ceux qui sont consentis pour leurs homologues masculins ». À l’époque, ce rapport jugeait que « le recours à d’autres structures financières (coopératives, abattoirs) augmentait leur taux d’endettement au démarrage de l’activité ». Les prêts bancaires étaient également moins élevés chez les femmes que chez les hommes.

Enfin, dans une étude sortie en 2022, le service de la statistique agricole Agreste estimait que les femmes « bénéficiaient proportionnellement moins de la Dotation jeune agriculteur (DJA) ». En 2020, les femmes représentaient près de 40 % des personnes qui se sont installées en agriculture. Mais seulement 23 % d’entre elles ont effectivement bénéficié de la DJA.

Léa Rochon